août 20, 2023

Ce qui est devant nous

 Si on veut comprendre l’évolution de nos sociétés et tirer quelques perspectives pour un avenir probable, il est utile de revenir à l’analyse que Marx fait du mode de production capitaliste. On sait que, pour Marx, le capital n’est pas une chose, de l’argent, des machines, des marchandises, mais un rapport social. Ce rapport social a cette particularité de se présenter sous une forme totalement obscure : le rapport entre les hommes apparaît comme un rapport entre les choses. Le capital est le grand automate dit encore Marx. Autrement dit les acteurs apparaissent comme les exécutants d’un gigantesque processus anonyme qui les dépasse. A- M-A», c’est la formule magique. Le capital ne peut vivre qu’en s’accroissant. Il ne lui suffit pas de se reproduire, il doit se reproduire sur une échelle élargie. Une fraction du capital qui ne pourrait s’accroitre serait condamnée à disparaitre. Il y a bien entendu de nombreux régimes d’accumulation différents, mais la loi fondamentale est invariable. Que nous soyons en régime «keynésien fordiste» ou dans la phase dite (à tort) «néolibérale», les mêmes lois s’appliquent. Capitaux, croissez et multipliez, c’est la loi et les prophètes!

Contradictions du mode de production capitaliste 

Mais le capital est une contradiction en acte. D’un côté, il doit toujours plus mettre en œuvre du travail vivant qui seul est producteur de survaleur (les machines ne font que transmettre leur valeur au produit), mais d’un autre côté, il doit augmenter la productivité du travail et donc utiliser toujours plus les machines. Donc l’augmentation du capital constant, relativement à l’ensemble du capital investi tend à faire baisser le taux de profit. L’accumulation du capital produit donc, tendanciellement, une baisse du taux moyen de profit, même si dans tel ou tel secteur le taux de profit croit, et parfois de manière très rapide.

Globalement, l’analyse de Marx, notamment dans le livre III du Capital reste tout à fait pertinente, y compris l’examen que fait Marx des différentes méthodes employées par le capital pour enrayer cette baisse tendancielle du taux de profit. Schématiquement, la dernière période (disons depuis la crise des années 1973 et suivantes) a vu la mise en œuvre de plusieurs méthodes.

1)    Baisse des salaires (de la valeur de la force de travail) obtenue grâce aux délocalisations massives — sur ce point, la France bat les records — et enrôlement dans le procès de production capitaliste de centaines de millions de travailleurs à bas coût (Chine, évidemment, mais aussi Inde, Vietnam, Indonésie, Philippines et Afrique). La concurrence «libre et non faussée» à l’échelle mondiale a permis de faire pression sur les salaires dans les pays avancés. L’inclusion dans la valeur de la force de travail de marchandises dont la valeur baisse (alimentation, biens d’équipement domestiques) a permis de lisser cette baisse des salaires réels.

2)   Le développement des nouvelles techniques de l’information et de la communication d’un côté, de la robotique de l’autre, a permis une augmentation de la productivité du travail et, par-là, une augmentation de la survaleur relative, tout en ouvrant de nouveaux champs d’accumulation du capital — par exemple, dans la production de matériel informatique.

3)   Accélération de la vitesse de rotation du capital, ce que permet le développement prodigieux du commerce mondial, la mondialisation de la finance, une planète sur laquelle le soleil ne se couche jamais, les systèmes interbancaires comme le système SWIFT, basés sur des réseaux informatiques de plus en plus puissants et de plus en plus gourmands en ressources.

4)   Développement sans précédent du «capital fictif», que soit par le moyen classique du crédit ou des sociétés par actions, que ce soit par toutes trouvailles plus ingénieuses les unes que les autres de la spéculation financière, laquelle peut se résumer en un mot : encaisser la survaleur future dès maintenant. Les grandes «bulles», bulle des valeurs de la «nouvelle économie» en 2002, bulle des fonds d’investissement avec la chute de Lemon Brother, en 2007, etc., sont simplement des rappels au réel : les valeurs virtuelles ne valent qui ont a des chances raisonnables qu’il y aura, au bout du compte, des valeurs réelles, de «vraies» marchandises, produites par un «vrai» travail.

Détruire, disent-ils

Dans son livre sur L’accumulation du capital, Rosa Luxemburg avait proposé une théorie de la crise finale du mode de production capitaliste. Ayant conquis le monde entier, l’accumulation du capital devenait impossible, puisqu’il n’existait plus de secteurs non capitalistes capables de réaliser la valeur des marchandises produites en surplus (le delta A’-A). Mais contrairement à ce que pense Kant, il arrive que quelque chose soit faux en théorie, mais parfaitement vérifié en pratique (en fait, selon Kant, il est impossible qu’une thèse soit théoriquement juste, mais pratiquement fausse). Rosa Luxemburg critiquait les développements (inachevés) du livre II du Capital, consacré à la reproduction. Les marxistes ont dépensé des tonnes de papier et de ressources intellectuelles pour démontrer que Rosa s’est lourdement trompée. Mais son erreur pointait quelque chose de vrai : l’accumulation illimitée du capital est impossible parce que le monde est fini. Seul un fou ou un économiste peut croire le contraire.

Quoi que pensent les ingénieux escrocs de la «nouvelle production de valeur», si je prête un euro à mon voisin et qu’il me les rend tout de suite, on n’a aura créé aucune valeur additionnelle. Il y a toujours un moment où il faudra passer à la caisse! Le secteur des services ne produit rien : il concourt seulement la réalisation de la valeur des marchandises produites dans le secteur productif et permet aux capitaux investis dans ces secteurs d’accaparer une part croissante de la survaleur. La plateformisation du commerce (voir les articles que j’ai consacrés à ce sujet) est la fois un puissant moyen d’accélérer la rotation du capital et le carte magique qui permet aux businessmen de ce secteur d’empocher une part considérable de la survaleur produite ailleurs — la capitalisation des GAFAM en est un bon exemple.

Donc, en dernier recours, il faut produire et pour produire, il faut des ressources naturelles, des moyens de travail et des travailleurs. Mais si le ressources naturelles menacent de manquer, si les moyens de travail sont de plus en plus gourmands et si on ne peut plus envisager sérieusement une multiplication de la population telle qu’elle s’est faite au cours des trois derniers siècles, alors on doit arriver à un moment où le «saut périlleux» de la marchandise (Marx) devient un saut mortel. Il semble bien que nous soyons arrivés à ce moment.

Pour sortir de cette impasse, à deux reprises au cours du siècle dernier, le capital a laissé tomber Mercure ou Hermès pour Arès ou Mars. La guerre a permis de rebattre les cartes et de reconstruire un nouveau capitalisme sur les décombres de l’ancien. La «troisième guerre mondiale», la guerre froide, s’est conclue par la défaite du «capitalisme» bureaucratique et la pleine conversion de la Chine au capitalisme sous surveillance étatique, et le capital, à l’échelle mondiale, a bénéficié d’un répit. Mais le «nouvel ordre mondial» pacifique, prédit par les commentateurs et futurologues ne s’est pas réalisé. Comme le disait Lénine, contre Kautsky, le «super-impérialisme» est impossible et les tensions entre les puissances capitalistes ne peuvent que s’aiguiser chaque jour un peu plus. La guerre OTAN-Russie, qui se déroule sur le territoire ukrainien, a pour enjeu le contrôle du gaz, du pétrole et des céréales. Derrière ce conflit se profile le conflit entre les États-Unis et la Chine, peut-être, demain l’Inde. La vieille Europe est laminée et en voie d’annexion de fait par les États-Unis qui ont en feront une monnaie d’échange. D’autres lignes de fractures apparaissent avec des nations qui veulent leur part de gâteau. La Turquie, alliée au Qatar, et appuyée sur les réseaux «fréristes» s’oppose à l’axe Arabie Saoudite, Émirats et Égypte, des pays qui ont décidé, pour l’instant de se débarrasser des «Frères» et veulent jouer leur propre partition, indépendamment des États-Unis. Israël est partiellement un membre de cette alliance implicite. Le Maroc s’est fortement rapproché d’Israël et bien éloigné de la France. Ceux qui lisent la situation internationale avec les lunettes d’hier sont évidemment à côté de la plaque! Des nouvelles guerres potentiellement très destructrices sont maintenant à l’ordre du jour qui ne se limiteront peut-être pas à quelques champs de bataille très délimités comme ce fut le cas à partir de la première guerre du Golfe (1991).

Capital et technologie

Dans le même temps, le capital est lancé dans une course technologique folle qui induit des modifications profondes de la condition humaine. Les manipulations du vivant avec les techniques de «ciseaux» à ADN permettent d’envisager les possibilités les plus folles et les plus terrifiantes. Le posthumanisme n’est pas une invention issue de l’imagination d’un auteur de science-fiction, mais une orientation possible de développement du mode de production capitaliste. De ce point de vue, ce qui se joue autour du «transgenre» n’est nullement une simple question «sociétale». Il nous faut apprendre à être amicaux avec les transgenres parce que nous devons apprendre à accepter les nouveaux humains qui pourront être fabriqués demain pour les besoins du mode de production capitaliste. On travaille également d’arrache-pied pour faire sortir la procréation du hasard de la méiose et des servitudes de la maternité. La fécondation in vitro, débarrassée de ses limites thérapeutiques et complétée par l’ectogenèse ouvre les portes du «meilleur des mondes». Il faut bien comprendre qu’il s’agit là de développements complètement conformes à la logique du capital. Plus un seul compartiment de la vie humaine ne doit échapper à la marchandise et sa transformation en capital. Plus rien ne doit échapper à la planification stratégique de la «croissance» qui n’est que la croissance du capital. «L’eugénisme libéral» dont parlait Habermas dans l’ouvrage L’avenir de la nature humaine (2000) est entré en résonance avec les revendications de groupes dits de «minorités sexuelles», c’est-à-dire des divers «syndicats» de perversions sexuelles (j’emploie ici le terme perversion dans son sens freudien). Ces groupes eux-mêmes, en essentialisant les individus au nom du «libre choix» apportent leur contribution à la dislocation de toutes les communautés humaines et à la formation de la «société liquide» (Zygmunt Bauman). Il s’agit bien de changer la nature humaine et de produire des humains conformes à des visées technoscientifiques. À terme, c’est l’idée même de la liberté qui disparaîtrait.

D’autres aspects des évolutions contemporaines pourraient être analysés et notamment ce qui se trame autour des neurosciences et leur utilisation dans une perspective de réification complète des individus, conforme à la logique du capital. On pourrait également enquêter sur le business médical : le rôle des laboratoires (Pfizer, Sanofi, etc.) et la transformation des hôpitaux en éléments de trusts de la santé (par exemple le groupe Ramsay), et la complicité nécessaire et bien rémunérée d’une partie particulièrement corrompue du corps médical. Mais tous vont dans le même sens : une prise de contrôle complète de l’individu par le «système». J’insiste : par le système et non par quelques individus particulièrement pervers. Mettre de l’argent dans un groupe qui travaille sur l’ectogenèse, ce n’est rien d’autre que vouloir gagner de l’argent, c’est-à-dire se conduire en bon fonctionnaire du capital. Les conséquences à moyen et long terme ne concernent jamais l’investisseur qui cherche à maximiser on placement et ceci est vrai quel que soit l’investisseur — les fonds de pension ou les mutuelle qui gèrent l’argent des salariés se comportent ou finiront par se comporter comme des capitalistes rapaces ordinaires. Le système impose sa loi et il apparaît comme indépendant des agents. Ce qui n’empêche pas certains de ces agents de jouir de leur soumission au système et d’autres (la majorité) d’en souffrir).

L’informatique et les communications constituent (parfois en lien avec le précédent) un autre secteur de développement du capital. Les «big data» sont le produit de l’informatique de gestion la plus traditionnelle, mais elles permettent maintenant l’essor fulgurant de la soi-disant «intelligence artificielle» (IA) qui n’est qu’un ensemble de techniques de traitement massif des données. Il s’agit à la fois de produire des nouveaux moyens de surveillance individus et même de prévoir, autant que possible, leur comportement, un peu comme dans la nouvelle de Philip K. Dick, Le rapport minoritaire, dont la police prédictive qui se développe aujourd’hui est une version encore très imparfaite. Le vieux fantasme de la planification totale, défendu jais par le système stalinien, fait un retour en force avec des moyens autrement puissants que ceux de la bureaucratie soviétique, mais qui conduiront presque aussi certainement au chaos. Ce système d’information mondialisé coûte une fortune en câbles, satellites, data centers… et défaillances techniques. Mais qu’importe!

J’ai abordé ailleurs la question de l’écologie et de la crise climatique. On peut ici voir comment elle s’insère dans la crise globale du mode de production capitaliste. Dans la bonne vieille stratégie du chaos, cette crise prend toute sa place : elle donne l’occasion d’une restructuration, d’un global reset du mode de production capitaliste. La restructuration de l’automobile en donne un bon exemple. Sous l’injonction du «tout électrique en 2035», l’industrie automobile draine des sommes considérables d’aides publiques — par exemple les aides publiques aux véhicules électriques sont massivement tombées dans les poches d’Elon Musk, producteur des Tesla. La fusion PSA-FCA qui a donné naissance au groupe néerlandais (!) Stellantis. Celui est engagé dans une opération de «dégraissage» qui va particulièrement toucher l’industrie automobile française vouée à une existence résiduelle, avec des transferts de production vers l’Espagne, l’Italie, la Pologne, la Chine ou l’Inde! Un tiers des concessions du groupe PSA en France vont disparaître. On parle de vendre les autos en ligne. La réindustrialisation de la France n’est qu’un mot creux pour meubler les discours des politiciens. Il reste moins de 10 % de la population active française dans l’industrie et les quelques industries qui sont annoncées sont souvent chinoises…

Mais, à la différence des grandes restructurations précédentes qui ont surtout touché la classe ouvrière, cette fois sont menacées aussi toutes les professions intellectuelles intermédiaires qu’on se prépare à remplacer par des dispositifs du genre «chatGPT». Même des professions aussi qualifiées que les radiologues pourraient être remplacées par des IA, sans oublier les développeurs informatiques ou une partie de professeurs. Cette transformation en cours va produire une paupérisation massive et une stratification nouvelle de la société, dont une partie ne survivra plus que par la forme moderne de l’antique anone des Romains.

Nouvelle configuration des classes sociales

Se dessine une nouvelle configuration des classes. La bourgeoisie, en tant que classe des propriétaires du capital est ravagée. Elle a été très largement épurée par les restructurations successives du capitalisme (pensons par exemple au textile du Nord). Survivent quelques grandes familles comme les Peugeot ou les Agnelli mais qui doivent déléguer leur pouvoir à des «managers» (en l’occurrence Carlos Tavares). La mangerial revolution de Burnham est passée par là. Le pouvoir suprême est détenu non plus par les vieilles bourgeoisies française, italienne, allemande, britannique, mais par la TCC, la «transnational capitalist class» décrite par Leslie Sklair voilà une vingtaine d’années. Cette TCC n’a plus grand-chose à voir la vieille bourgeoisie patrimoniale qui ne survivre précisément qu’en s’intégrant à la TCC, par exemple les Mulliez, champions de la reconversion après l’effondrement du textile du Nord qui ont réussi à constituer un trust familial multinational, ou encore les Agnelli qui contrôlent une société financière qui contrôle FCA qui contrôle Stellantis. Les managers, issus des écoles prestigieuses ou de la haute fonction publique s’échangent sur le marché du capital comme les joueurs de foot vedettes sur le «mercato». Des alliances plus ou moins informelles de nouent comme celle qui a permis l’élection de Macron : milliardiaires des médias et de l’internet, hauts fonctionnaires (Bercy), magistrats (le parquet financier), conseillers du prince (Attali) ont conjugué leurs efforts pour faire élire un président à leur goût, une opération qui n’est pas rappeler celle qui a mis Berlusconi au pouvoir dans les années 1990 à la suite de l’opération «manipulite», une opération où les mains n’étaient pas aussi propres qu’on bien voulu le dire.

À l’autre extrémité, la classe ouvrière, disloquée comme classe par les restructurations industrielles, est noyée dans le «précariat» moderne, livreurs de pizzas, chauffeur «uber», autoentrepreneurs, titulaires du RSA, adultes handicapés, retraités aux retraites amaigries, petits artisans qui tiennent à peine la tête hors de l’eau. Toute cette nouvelle classe dont une partie s’était mobilisée avec les «Gilets jaunes». On pourrait comparer cette couche sociale d’en bas à la plèbe romaine. Entre les deux la classe dite moyenne est laminée. Elle qui devait être le noyau central dans la vision giscardienne se voit menacée d’être précipitée dans la plèbe. Il suffit dire qu’un professeur commence avec 1,2 SMIC pour voir combien le Capitole est proche de la Roche tarpéienne! La France semble en pointe dans cette «tiers-mondisation» des pays capitalistes avancés. Avec un salaire médian à 1850 € et un taux de pauvreté de 20 %, en France, de nombreux ménages sautent régulièrement un repas parce qu’ils ne peuvent plus joindre les deux bouts. L’inflation consécutive au déclenchement de la guerre en Ukraine est ravageuse. Qu’est-ce qui unit cette «classe d’en bas»? La précarité des conditions de vie et la nécessité de travailler. Même les mieux installés risquent un licenciement, une restructuration, un accident de la vie familiale et peuvent à tout redégringoler. La condition juridique salariale n’est pas ici le facteur déterminant : après tout, Carlos Tavarès avec ses 60 millions l’année est aussi un salarié, pendant que celui qui vit en «autoentrepreneur» de petits boulots ou l’infirmière libérale sont des «travailleurs indépendants». Le point commun finalement, c’est le travail, le travail fatigant, le travail qui demande de la sueur et qui permet tout juste de vivre. Mais aussi le travail sans lequel tout le monde s’effondre. On peut se passer des trois quarts des managers, DR de quelque chose, auditeurs, bavards prétendument experts, journalistes préposés à l’intoxication des cerveaux disponibles. Mais ni les éboueurs, ni les infirmières, ni les aides à domicile, ni les plombiers ou les électriciens, ni les paysans ou les manutentionnaires ne disparaitraient sans des dommages considérables pour toute la société. Les «premiers de corvée» comme on les a appelés pendant l’épisode Covid.

Il faut dire un mot de la population dite des «cités» qu’on amalgame à tort sous l’étiquette «immigrés», alors qu’une partie, née en France, n’est pas immigrée du tout! Une partie de cette population est rigoureusement semblable aux populations «de souche» et d’ailleurs ils se retrouvent soit dans les Gilets Jaunes, soit dans d’autres mouvements sociaux comme les grèves des femmes de ménage des grands hôtels. La division entre le peuple de la «France périphérique» (Guilluy) et le peuple des «cités» est donc largement arbitraire, mais soigneusement entretenue au nom de la bonne vieille maxime «diviser pour régner», la classe dominante recevant dans cette entreprise l’appui constant et fidèle d’une partie de la gauche, comme LFI. La spécificité de ces cités tient à qu’elles ont clairement un caractère néocolonial. La classe dominante délègue aux «indigènes» le soin d’administrer les indigènes, comme c’était souvent le cas dans les colonies jadis. Ici les caïds de la drogue et de l’islamisme jouent ce rôle. Moyennant la mansuétude judiciaire et policière, ils restent les maîtres de ces territoires perdus de la république, qui leur rapporte des sommes coquettes. L’organisation interne des cités ressemble beaucoup au système féodal et à sa version plus moderne qu’est la mafia.

Perspectives probables et improbables

Le plus probable, compte tenu des rapports de forces entre les différentes classes sociales, est une aggravation de la crise sociale et une offensive de grande ampleur des classes dominantes pour réduire la plèbe aux conditions de la survie. La réforme des retraites pilotées par Macron n’était qu’une «mise en bouche», préparant des offensives contre la sécurité sociale, les conditions de travail et les salaires… et une nouvelle réforme des retraites! Tout est annoncé. Des discours répétés préviennent que la sécurité sociale, même avec les mutuelles, ne suffira pas et que chacun devra prévoir un budget «santé» dans ses dépenses du mois. Le modèle est connu : c’est le modèle américain. Dans tous les secteurs, des licenciements massifs sont à prévoir et cela entraînera une précarisation accélérée des rapports salariaux. Comme il faut faire face à la baisse naturelle de la population dans les pays industriels, l’immigration massive est à l’ordre du jour. Bien qu’on attribue à «l’extrême droite» la thèse du «grand remplacement», on doit reconnaître que les instances suprêmes de l’Union européenne lui sont entièrement acquises et que seules les nations résistent encore un peu, mais peut-être pour peu de temps encore. Une population immigrée dépourvue de traditions de lutte, soumise à un contrôle administratif et policier rigoureux pourrait agréablement remplacer les travailleurs «blancs», dont les plus anciens ont encore en tête l’idée de syndicat, de droits sociaux, etc. Pour éviter d’avoir à former des travailleurs qualifiés ou hautement qualifiés, on prévoit un recrutement de médecins et d’ingénieurs formés dans les pays plus pauvres. Dans ces conditions, la résistance sociale sera bien plus difficile.

L’évolution la plus improbable est celle sur laquelle mise ou feint de mise une partie de la gauche, celle d’un retour à une forme ou une autre de keynésianisme social, un retour au mode de régulation qui a connu ses jours de gloire dans les années 1945-1970. Les conditions qui ont présidé à cette phase exceptionnelle ont disparu. L’effondrement de l’URSS et de ce que les élites prenaient pour une «menace communiste» libère les classes de dominantes de devoir amadouer les puissantes classes ouvrières des pays riches. Il n’y a plus aucune menace communiste ou socialiste qui pèse sur plus riches : pourquoi devraient-ils céder une partie de leurs surprofits aux travailleurs. L’explosion des inégalités et l’accumulation de fortunes gigantesques suffisent pour comprendre qu’on ne reviendra pas en arrière vers les années 1950 et 1960. L’énergie bon marché, essentiellement le pétrole, ne sera plus qu’un souvenir. La concurrence internationale d’un tiers-monde qui n’était rien et voudrait bien maintenant être tout, comme on doit naturellement s’y attendre, bloque les possibilités de renouveler le contrat des «trente glorieuses».

Qu’un renouveau du keynésianisme social à l’ancienne soit à peu près improbable n’empêche une forte intervention de l’État dans l’économie. La «néolibéralisme» est une fable : nulle part on n’est revenu au «régime manchestérien», tant est-il qu’il ait jamais existé. Le modèle chinois représente une variété du capitalisme d’aujourd’hui et on le retrouve à des degrés divers un peu partout. La Russie, la Turquie, les pays arabes sont des pays où l’État est directement lié au capital. Les «fonds souverains» sont une autre forme d’implication de l’État. Et partout les systèmes d’incitation, les marchés publiques ou l’économie d’armement constituent autant d’interventions indirectes de l’État. Mais ces interventions étatiques ne sont pas motivées par quelque souci que soit du «social» ou de la concurrence avec le «communisme». Le temps où Pompidou se disait partisan d’un «socialisme à la suédoise» et où Chirac se présentait comme «travailliste» est vraiment très loin!

Demain sera, quoi que l’on fasse, plus difficile qu’aujourd’hui. Aujourd’hui est déjà bien plus difficile qu’hier pour une large partie de la population qui n’a pas la chance de se faire entendre, qui est absente des médias, du cinéma, des séries… et des préoccupations des politiciens, même de gauche. La seule chose qui se discute est de savoir comment les difficultés vont être réparties et qui décidera des restrictions et pour qui.

Pour continuer…

Il est nécessaire de sortir de la logique du capital, si on veut éviter un effondrement de la civilisation ou une transformation de la vie humaine telle qu’elle sera privée de toute valeur. Cette issue possible du développement du mode de production capitaliste n’est pas certaine. Il peut y avoir une série de destructions qui pourraient donner un nouveau souffle au capital, comme l’ont été les deux grandes guerres mondiales du xxe siècle. Mais quoi qu’il en soit, aucune de ces perspectives n’est moralement envisageable et chacun, pourvu qu’il fasse usage de sa raison pratique sait que notre devoir est de tracer une autre direction et d’agir pour que, collectivement, nous puissions commencer à marcher dans cette direction. La difficulté est que nous devons tout repenser et que la tradition «révolutionnaire», principalement celle du marxisme, ne nous est d’aucun secours, bien au contraire. Pouvons-nous effectivement déterminer cette voie nouvelle et nous y engager? Voilà la question la plus urgente.

Le 4 août 2023

Charlatans de l’écologie, crises à venir et pistes pour éviter la catastrophe

Les mises en garde catastrophistes sur « l’avenir de la planète », les discours « écolo », sauce Greta ou sauce Sandrine Rousseau m’insupportent. Les leçons de morale « verte » et les discours sur la transition écologique, la planification écologique et autres sornettes de la même farine me fatiguent ou me mettent en rogne. Tout cela me semble du bruit, fait par les moulins à parole qui proposent de tout changer pour que rien ne change. Après tout, nous venons de battre (2022) le record absolu de consommation mondiale de charbon, preuve de la « décarbonation » est en bonne voie ! Le 6 juillet, on enregistrait un autre record : 134386 vols commerciaux dans une seule journée. Jusqu’à 20000 avions ont volé en même temps, mais la hausse des températures, c’est le rot des vaches ! Pendant ce temps on apprend par un rapport des Nations Unies que « en dépit d’ambitions de plus en plus fortes pour protéger le climat et d’engagements à zéro émission nette, les gouvernements prévoient de produire en 2030 une quantité de combustibles fossiles plus de deux fois supérieure à celle compatible avec la limitation du réchauffement de la planète à 1,5 °C. » (rapport 2021 du PNUE)

Cette immense hypocrisie ne doit cependant pas nous détourner de regarder en face ce qui nous attend vraisemblablement et surtout ce qui serait possible et dont on parle assez peu, cela pourrait fâcher les amis du pouvoir comme ce M. Total, décoré (promo du 14 juillet 2023) de la Légion d’honneur pour services rendus à la pollution de la planète. Les bénéfices record de sa société valaient bien cela.

Bien que je ne sois pas sûr que le réchauffement climatique soit exclusivement dû à l’activité humaine, il est fort probable que nous y soyons pour quelque chose. Le GIEC n’est pas vraiment une institution scientifique, puisque c’est une organisation intergouvernementale, mais l’avance de la date des moissons et des vendanges, la répétition des épisodes de sécheresse, les incendies de forêt en Bretagne, sont autant d’indices que la prédiction d’une hausse moyenne des températures qui pourrait être de +2° en 2050 semble assez sérieuse. Les conséquences de cette hausse pourraient être assez vite catastrophiques pour une bonne partie de notre planète. On estime qu’un milliard d’habitants ne pourraient plus vivre, pendant la moitié de l’année dans les zones très chaudes où ils vivent actuellement. Les ressources marines diminueraient rapidement (notamment à cause de la disparition des récifs de corail et du plancton qui ne supporte pas trop la chaleur) et toutes les populations qui vivent de la pêche seraient durement affectées. La végétation changerait sous nos contrées qui deviendraient beaucoup moins fertiles – pendant ce temps la Sibérie, nonobstant les conséquences sérieuses du dégel du permafrost, deviendrait le nouveau « grenier à blé » de l’humanité, ce qui éclaire d’un jour singulier le conflit Russie/OTAN autour de l’Ukraine.

Bien qu’il y ait beaucoup de discussions et peu de certitudes, il semble que, d’ici 2050, la production de pétrole sera amenée à baisser, peut-être de 50 %. Un institut algérien estime même que la production de pétrole algérien devrait baisser de 65 %. Même s’il existe des réserves de pétrole abondantes, le prix du baril devrait augmenter à long terme en raison des coûts d’exploitation croissants. On pourra se rapporter aux travaux du Shiftproject sur ce sujet. La difficulté de s’approvisionner en pétrole bon marché aura des conséquences graves sur le commerce mondial. Il deviendra difficile de se procurer à bas coûts tout ce qui nous vient aujourd’hui de Chine, d’Inde, du Bengladesh ou d’Afrique. La « démondialisation » ne sera plus un slogan inventé par Arnaud Montebourg, mais une réalité qui s’imposera rudement.

Il est un autre aspect assez peu souligné : la baisse des ressources en minéraux et minerais, un phénomène qui commence à être étudié par quelques chercheurs , mais sur lequel on s’attarde assez peu, car il a des conséquences immédiates sur la solution miraculeuse du « tout électrique » à base d’électricité renouvelable. Ajoutons qu’il ne s’agit pas seulement des minerais comme le cuivre ou le nickel, mais aussi des ressources minérales comme le gravier ou le sable. Tout cela est très bien documenté. Pour les métaux rares, métaux stratégiques pour toutes les nouvelles technologies, on se reportera aux travaux d’Aurore Stephant. Elle montre de façon très convaincante pourquoi les promesses d’appareils informatiques dans toute notre vie sont du bluff (le grand bluff technologique, aurait dit Jacques Ellul).

Si on veut bien convenir que l’accès à une source d’énergie aussi aisée à trouver, à exploiter et à transporter que le pétrole a été la potion magique du mode de production capitaliste au cours des derniers 150 ans, si on convient que le remplacement de l’homme par les machines et le développement de la division mondiale du travail ont permis à ce système faire de prodigieux bonds en avant, on est obligé de se demander si on n’est pas arrivé maintenant à une limite « objective ». Avec l’énergie du désespoir, on entreprend toutes sortes de recherches pour trouver une solution miraculeuse, tout en camouflant avec le plus grand soin l’ampleur des crises à venir. Le mode de production capitaliste fonctionne à l’accumulation illimitée, mais la planète a des ressources limitées. Pour croire que cela peut continuer, il faut être soit un fou soit un économiste.

Il y a encore un aspect : celui de la démographie. La croissance est corrélée à l’augmentation de la population. Soit la population continue d’augmenter à un rythme soutenu et cela permettrait à l’accumulation capitaliste de se poursuivre, mais là encore, c’est totalement impossible. Si la population augmentait aussi vite qu’au cours des six dernières décennies, on aurait une population de 18 milliards avant la fin du siècle… Mais si la population stagne et régresse – ce qu’elle commence à faire dans la plupart des pays avancés, Chine comprise -alors c’est un autre monde qui s’imposera. Seul le travail vivant produit de la plus-value. Si nous étions sérieusement préoccupés par l’avenir, nous devrions commencer à réfléchir sérieusement à la meilleure façon de nous préparer à cet « atterrissage » démographique.

Tous les chiffres donnent le vertige. Il peut y avoir des variations, des pas de temps quelque peu différent, mais on retrouve le pronostic proposé par Wallerstein et alii dans Le capitalisme a-t-il un avenir ?http://la-sociale.viabloga.com/news/le-capitalisme-a-t-il-un-avenir: le capitalisme est condamné et on peut même fixer la date : entre 2050 et 2100. Sur quoi cela débouchera-t-il, c’est une autre affaire ! On peut débattre à perte de vue sur la décroissance, tout simplement parce que la décroissance n’est pas une politique, mais plutôt une perspective un peu effrayante, mais assez probable. Rosa Luxemburg avait soutenu, avec d’autres arguments, que le mode de production capitaliste arriverait à une « crise finale ». La crise majeure qui vient ne sera peut-être pas la « crise finale » si le capital s’engage dans une destruction massive d’hommes, de richesses, de pays entiers, une destruction à côté de laquelle la Seconde Guerre mondiale fut une promenade de santé.

Il est possible d’empêcher la marche à l’abîme. C’est même une nécessité qui va s’imposer dans un laps de temps assez court. Si le trafic aérien suivait le calcul de Jancovici (4 voyages en avion par individu pour toute sa vie), on aurait un effondrement du trafic et de toutes les industries qui en dépendent. Comment faire ? Comment réagiront les salariés des entreprises concernées ? Faut-il exiger le maintien du trafic aérien pour préserver l’emploi ? Plus clair encore, si on veut comprendre la portée de la question : faut-il maintenir à tout prix l’industrie des pesticides pour préserver l’emploi dans ce secteur ? En fait, la plupart du temps, on pose les problèmes à l’envers. On fait de l’emploi une conséquence de la production qui elle-même est nécessaire pour mettre en valeur le capital. Mais c’est cela la logique du capital et toute réforme sérieuse demande que cette logique du capital soit renversée. Le travail a pour fonction de satisfaire les besoins humains, sachant que ces besoins ne sont pas seulement les besoins primaires de la pyramide de Maslow, mais aussi toutes sortes de besoins spirituels. Mais le retour à ce simple bon sens est incompatible avec la domination du mode de production capitaliste sur l’ensemble de la vie sociale. D’ailleurs tout le monde le sait, en vérité.

Prenons les choses par le « petit bout de la lorgnette », c’est-à-dire en regardant quelles économies on peut faire dans un secteur donné. Supposons, par exemple, que la vitesse soit limitée à 100 sur les autoroutes, non au gré des conducteurs mais bridant les moteurs. Ajoutons une norme qui fixe un poids maximum des automobiles. On pourrait faire des voitures nettement moins coûteuses en matériaux et en dépense d’énergie. À 100 km/h, les impératifs de sécurité pourraient être moins drastiques et donc le poids des véhicules serait abaissé. Fin des SUV à 2,5 t ! La consommation serait aussi beaucoup faible (en supprimant certains gadgets « high tech ») et à vue de nez on diviserait par deux ou trois la consommation d’essence ou de gazole. Comme la voiture ne pourrait plus être un signe extérieur de puissance et de réussite sociale, elle serait aussi nettement moins utilisée au profit de ces transports « intelligents » que sont les transports en commun. Pour les nostalgiques, on pourrait se contenter de quelques musées de l’auto comme celui de Turin. Construire des petites automobiles légères et peu gourmandes en gadgets informatiques est beaucoup plus facile et on pourrait sans mal rapatrier toute la production en France au lieu de faire venir par bateau ou par camion des automobiles du monde entier. Évidemment tout cela ne ferait pas du tout les affaires des deux trusts d’origine française (partiellement) mais maintenant domiciliés aux Pays-Bas, Renault-Nissan et Stellantis. Il faudrait sans doute dissoudre ces conglomérats et nationaliser la production de ces petites autos. Un tel plan serait pourtant bien moins coûteux et bien plus efficace que le plan d’électrification du parc automobile actuel. Son seul défaut est d’être « décroissant » du point de vue capitaliste. Les gens d’en bas en revanche verraient sans doute assez vite les avantages d’avoir des moyens peu coûteux pour se déplacer, pour le travail ou les loisirs, surtout là où l’alternative « transport en commun » n’existe pas – pensons à la campagne. Le génie des ingénieurs pourrait d’ailleurs être utilisé intelligemment pour le perfectionnement en légèreté et en réparabilité de ces voitures. Sera-t-on plus malheureux si on paye deux fois moins cher au kilomètre avec un véhicule qui peut rouler 20 ou 30 ans ? Si on se place non du point de la valeur marchande, mais de celui de la valeur d’usage, la réponse est évidente.

On pourrait transposer ces raisonnements dans l’équipement électro-ménager, dans le bâtiment, etc. Le « développement durable », slogan publicitaire bien connu, pourrait prendre un sens nouveau : développement des biens qui durent ! Mais là, si le renouvellement du parc électroménager est deux fois plus lent, il y a deux fois trop d’emplois dans ce secteur. Mais comme on dépenserait moins, on ne passerait plus son temps à courir pour payer les traites de la tourniquaette qui fait la vinaigrette, du bel aérateur pour bouffer les odeurs, pour reprendre la chanson que Boris Vian avait consacrée aux arts ménagers, on aura les mêmes avantages en termes d’usage tout en étant nettement moins riche en valeur d’échange (monétaire).

Si on relocalise massivement la production, dans tous les domaines, on pourra diminuer les besoins en infrastructures de transports. On pourra limiter le bétonnage des sols et répartir une partie de la population dans les petites villes et dans les villages où les logements vides abondent. Il faudrait réaménager le territoire, mais dans un sens radicalement opposé à la voie suivie par la technocratie, cette voie de la « métropolisation » avec, clou de la bêtise, le « grand Paris ».

On n’a pas vraiment à se préoccuper du temps utilisé à ne plus produire des choses inutiles. D’une part, on peut penser que le temps libéré pourrait être consacré à s’instruire, à apprendre, ou recevoir des amis et éduquer ses enfants ! Il faut aussi penser que nous devrions arrêter la course à la haute technologie fort gourmande en métaux que nous n’aurons plus et qu’il pourrait être utile de remettre des humains à la place des machines, des humains dans les guichets des administrations, par exemple, mais aussi là où ils manquent cruellement dans les écoles et dans les hôpitaux. Et enfin, si on ne peut plus voyager au bout du monde quand cela nous chante, on redécouvrira le train, le vélo et la marche à pied qui est fort bonne pour la santé.

Rien de toutes ces propositions que l’on pourrait chiffrer et affiner, n’est utopique. Elles impliquent un élément de contrainte acceptable à deux conditions : la première est qu’on saisisse clairement les enjeux et les objectifs, que chacun puisse voir ce qu’il devra perdre et ce qu’il pourra gagner ; la deuxième que les ploutocrates passent « à la caisse » et soient soumis à la loi commune – par exemple, si on limite les voyages en avion, il faut évidemment interdire les jets privés.

La société qui sortirait de cette transformation radicale serait une société socialiste, mais débarrassée de l’idéologie technocratique qui a trop longtemps pollué la pensée socialiste. L’élément étatique résiderait dans la capacité de l’État à imposer des normes et à financer des actions qui vont dans le sens de la nécessaire économie de ressources. Mais l’essentiel viendra « d’en bas », d’abord par la mise en œuvre au niveau local de nouveaux rapports de production et de consommation – en fait le noyau vivant pourrait être ces communautés de base que sont les communes qui pourraient utilement se grouper pour réunir leurs moyens d’action. Il y aurait aussi à reprendre la réflexion sur les coopératives ouvrières de production ou les coopératives de producteurs indépendants (comme le sont les coopératives agricoles).

Il reste un dernier point, désagréable aux oreilles mondialistes : il faudrait que la production soit largement soustraite à l’influence délétère du marché mondial et donc une politique protectionniste s’imposerait, politique protectionniste dont la condition est le retour à la souveraineté nationale, sans laquelle rien n’est possible. On pourrait résumer : pas d’écologie sans socialisme, pas de socialisme sans démocratie et rien de tout sans souveraineté.

Le 14 juillet 2023

Téléologie vitale

La domination de la pensée « économiste », celle des universités, des écoles de commerce, des grands journaux, etc., interdit que soient posés convenablement les problèmes de notre époque. Par conséquent, bon nombre de propositions « alternatives » tombent à l’eau parce qu’elles se situent encore dans le cadre de la pensée dominante. Ajoutons à cela que la question de « l’environnement » est généralement plaquée par là-dessus, traitée à partir d’un point de vue pseudoscientifique, objectiviste qui finit par noyer toute discussion dans des arguties techniques, tout aussi discutables les unes que les autres.

Il faut repartir de la base. Nous vivons dans des sociétés dominées par le mode de production capitaliste. Je dis bien dominées parce qu’il existe, même dans les sociétés les plus capitalistes, des sortes d’enclaves non capitalistes, soumises certes à sa logique, en dernière analyse, mais fonctionnant tout de même selon une autre logique (pensons au secteur mutualiste et coopératif ou aux services publics tant qu’ils n’ont pas encore été transformés en entreprises capitalistes et à la famille). Tout cela demanderait des explications détaillées qu’on remettra à plus tard. J’en reviens à mon point de départ : la domination du capital. Cette domination du capital est, fondamentalement un monde mis sur la tête. Pourquoi les hommes travaillent-ils ? Pour produire les moyens de leur existence (et ainsi leur vie elle-même comme le dit Marx). Or dans le mode de production capitaliste, le travail n’a pas essentiellement pour but de satisfaire des besoins humains, mais de se transformer en capital qu’il faut accumuler. La consommation des humains n’est pas la fin du procès de production, mais seulement son moyen. On ne produit pas pour consommer, mais on consomme pour que le cycle de la production, c’est-à-dire de la reproduction du capital, ne s’arrête pas. C’est ce que Michel Henry appelle de manière fort pertinente « inversion de la téléologie vitale ». Les moyens deviennent des fins et les fins deviennent des moyens. Cette inversion caractérise tout le procès de production capitaliste dans lequel les moyens de production ne sont plus les moyens du travailleur, c’est le travail qui devient un moyen de la machinerie. Tout cela a été excellemment analysé par Karl Marx, et j’ai suffisamment écrit sur le sujet pour n’y ait point à y revenir maintenant.

Prenons un exemple. Depuis déjà un bon demi-siècle, nous avons toute une série de critiques de la croissance, parfois excellentes. Le rapport Meadows en 1972 est un des plus connus. On pourrait citer aussi les ouvrages de François Partant, comme La fin de développement et bien d’autres encore. Les critiques de la technique et de la folie capitaliste ne manquent pas non plus. Mais sur quoi tout cela débouche-t-il trop souvent ? Sur la décroissance, voire sur la sobriété volontaire, la frugalité révolutionnaire et d’autres vieilleries de la même farine. Mais le problème n’est ni la croissance ni la décroissance. Il est plus simplement et, en même temps c’est beaucoup plus difficile, de remettre les choses sur leurs pieds ! C’est-à-dire de revenir de la valeur d’échange à la valeur d’usage.

La valeur d’usage est ce qui est produit pour nos besoins. Reste à déterminer ce que sont ces besoins. On ne peut pas vouloir imposer une frugalité qui ne serait rien d’autre que la dictature sur les besoins, chose dans laquelle excellait, si l’on peut dire, le « socialisme réellement existant » du siècle passé. L’homme civilisé, dit Marx, est « l’homme riche en besoins ». Nous n’avons pas simplement besoin de manger selon les normes des diététiciens, nous avons besoin de manger des plats raffinés, parfois de faire des repas une fête. Nous avons besoin de belles choses, même parfaitement inutiles. Nous n’avons nul désir de frugalité. Et ce d’autant plus que l’immense majorité de l’humanité est privée même du nécessaire et aspire tout naturellement à vivre selon les modes des plus riches. Cela ne valide en rien le consumérisme frénétique ni le gaspillage permanent qui fait tourner la machine capitaliste. Bien au contraire : les immenses quantités de saloperies que produit la machinerie capitaliste pourraient avec avantage être remplacées par de la nourriture, des vêtements et autres choses bonnes, belles et utiles à la vie. Voilà une « croissance » qui serait tout à fait souhaitable. On peut philosophiquement préférer une vie austère, pour mieux se consacrer à la méditation et à la vie de l’âme. Mais personne ne peut raisonnablement en faire un modèle social. Les philosophes eux-mêmes s’y tiennent très rarement. Nos gouvernants pensent de plus en plus à nous dicter ce que nous devons manger (cinq fruits et légumes par jour), boire ou ne pas boire, et à quelle température doivent être nos maisons et appartements. Il y a là-dedans quelque chose de complètement insupportable et qui s’inscrit dans le projet totalitaire d’un gouvernement des corps autant que des esprits.

Ajoutons que, d’un point de vue social, il y a des « besoins » importants qu’on ne saurait sacrifier : besoins de fêtes publiques, besoins d’ériger de beaux monuments, besoins d’embellir les villes, etc. Heureusement que les générations passées nous ont légué des palais, des cathédrales, des édifices publics d’une beauté qui nous sidère encore ! Heureusement qu’il reste encore des endroits où l’on peut échapper à la laideur de tant d’édifices contemporains où on a confondu l’extravagance et l’absurdité avec le génie.

La dictature sur les besoins qui se profile n’a pas d’autre but que d’habituer les travailleurs à se contenter de moins afin de baisser la valeur de la force de travail. Pensez ! Tous ces gueux qu’on nourrissait de mauvais pain trempé dans de l’eau un peu grasse veulent maintenant manger du gigot et du rosbif ! On va leur expliquer que c’est mauvais pour leur santé et pour la planète et le tour sera joué… Il faut absolument ne pas rentrer dans ce jeu pervers auquel excellent toutes sortes de gourous et de politiciens comme ceux qui se disent « écologistes », mais ne connaissent rien à l’art humain ancestral d’habiter la Terre. Revenir à la téléologie vitale, ce n’est certainement pas commencer à décréter ce que sont les « vrais » besoins et quels « faux » besoins doivent être éliminés.

Marx faisait remarquer que les besoins humains se développaient en même temps que les moyens de les satisfaire. « Avec son développement, cet empire de la nécessité naturelle s’élargit parce que les besoins se multiplient ; mais en même temps se développe le processus productif pour les satisfaire. » (Capital, III, conclusion) Il suffit de penser aux besoins de santé pour comprendre de quoi il s’agit. Sans doute devons-nous cesser de rêver à l’immortalité que nous promettent les prophètes du transhumanisme, mais personne ne peut renoncer à vivre autant que possible et chaque progrès de la médecine en attend d’autres, même si trop souvent nous nous berçons d’illusions.

Que chacun, individuellement, puisse réviser la liste de ses besoins, renoncer à ce qui nous intoxique au profit de ce qui sera profitable, c’est un souhait peu contestable. Un fumeur fait sans doute bien d’arrêter, mais il ne peut forcer les autres à en faire autant. Chacun individuellement ou collectivement doit assumer ses choix. Il se trouve qu’aujourd’hui, dans le cadre de l’économie mondialisée, les plus riches peuvent déporter sur les autres les conséquences de leurs choix. Globalement, les pays riches ont délocalisé une partie de leur pollution dans les pays émergents à qui est dévolue la charge de la production industrielle… Ce qui nous ramène aux questions de fond : dans le mode de production capitaliste, c’est bien connu, ce n’est pas celui qui fait pousser l’avoine qui la mange. Tant que l’argent ruisselle du front des travailleurs dans la poche des capitalistes, ces derniers peuvent toujours chercher à s’arracher aux conséquences de leurs choix. Les entreprises de Bezos et Musk pour lancer un « tourisme spatial », tout comme le projet de villes flottantes extra-territoriales, projets tous plus délirants les uns que les autres, expriment la volonté des capitalistes d’échapper à la condition terrestre, à ce qui reste, malgré la ségrégation urbaine en pleine expansion, un habitat commun.

On est à peu près certain que les conditions naturelles de la vie sur Terre vont devenir difficiles si on continue sur la lancée actuelle. Je ne suis pas absolument convaincu que le réchauffement climatique soit notre pire menace. Mais même si ce n’est que probable, il est cependant de bon conseil d’agir en conséquence de cette menace, qu’elle soit ou non aussi catastrophique qu’annoncé. En revanche, les conditions d’accès aux ressources de la Terre risquent fort de s’épuiser assez rapidement. Le capitalisme a connu un développement prodigieux en carburant au pétrole et rien ne le remplacera à horizon humain. La pollution des rivières et des océans est également un phénomène inquiétant. On doit tenir tout cela pour çà peu près avéré — même s’il y a aussi pas mal d’incertitudes et de faux problèmes qui en masquent de vrais. Pour une part, nous ne pourrons pas faire marche arrière, nous ne pourrons pas faire que le pétrole consommé retourne dans les nappes pétrolifères. Pour une part, sans doute, nous ne pouvons rien faire de sérieux sur le réchauffement climatique. À huit milliards d’humains et bientôt dix, nous nous tenons chaud ! Une drastique diminution de la population humaine résoudrait pas mal de problèmes… Mais elle ne pourrait venir que d’une ou d’une série de catastrophes qui ruineraient pour longtemps la civilisation. La stabilisation de la population et même sa diminution par diminution de la fécondité (modèle coréen du Sud : 0,8 enfant par femme !) aura aussi des conséquences importantes que nous mesurons très mal.

En vérité, même si on ne le veut pas ou si on l’accepte avec résignation (c’est le credo commun de la droite et de la gauche), le capitalisme ne peut plus continuer comme avant. Nous n’avons pas atteint les « limites de la croissance », mais les limites du capitalisme. Un bouleversement des rapports sociaux de production est une nécessité absolue. Ce bouleversement n’ouvrira pas la porte du paradis sur Terre, même si on peut espérer qu’il y aura pour tous « du pain et des roses ». Ce bouleversement signifie que ceux qui décident sont ceux qui assument les coûts de leurs décisions. Ce n’est que la traduction de l’idéal politique qui a été porté depuis le xviisiècle par la grande majorité des philosophes et par les mouvements d’émancipation politique et sociale. Si décident ceux qui en assument les coûts, personne ne voudra produire au-delà de ce qu’il pense correspondre à ses besoins, soigneusement pesés en rapport avec les ressources existantes. On peut même espérer qu’un progrès réel de l’instruction et la diffusion des connaissances permettraient de faciliter ces choix « en connaissance de cause ». La discussion démocratique devrait même permettre d’accroître la capacité de chacun à participer à une délibération fondée sur ce que Jürgen Habermas appelait « éthique de la discussion ». Recréer de bas en haut un espace public pour une telle délibération, tel devrait être l’objectif premier.

Quelques exemples : qui voudrait polluer une rivière dans laquelle il va aller se baigner ou pêcher à la ligne ? Qui voudrait exproprier les maraîchers qui apportent les légumes frais au marché pour y installer des zones d’achalandage pour les grandes enseignes ? Tout cela se fait sans difficulté ou presque aujourd’hui en raison de la séparation des décideurs et des exécutants, du fractionnement des décisions et de l’éparpillement civique de la population. Un autre exemple : les partisans du « tout électrique » doivent assumer les éoliennes et les champs de panneaux solaires dans leur propriété, dans leur paysage et ne pas l’infliger à ceux qui n’en ont pas voulu.

En posant les problèmes de cette façon, individuellement et collectivement, « de quoi avons-nous besoin pour vivre ? », il serait sans aucun doute possible de faire prévaloir la recherche de la satisfaction de tous sur la course à l’accumulation du capital. Peut-être n’est-ce pas réalisable, peut-être « les gens » (car ce sont toujours les autres qu’il faut mettre en cause !) ne sont-ils pas assez raisonnables, peut-être l’avidité insatiable fait-elle partie de la nature humaine… mais si c’est le cas, toutes les solutions des rebouteux du néokeynésianisme, de la transition écologique ou de la décroissance sont vouées plus à aggraver le mal qu’à y répondre.

Commençons par la décroissance. Jancovici en est un défenseur ardent pour lutter contre le réchauffement climatique. Il montre que nous avons fait reculer sérieusement la pollution au moment du confinement. Il propose donc une baisse annuelle du PIB équivalente à celle du confinement. Mais comme toutes les stratégies de décroissance, elle produirait des résultats d’une violence insupportable, à moins de lobotomiser tous les humains. Nous avons eu beaucoup de mal à supporter le confinement pendant quelques mois… La décroissance de 5 % par an se traduirait par des coupes sombres dans les revenus de ménages, et surtout dans les revenus des plus pauvres. On peut imaginer une « décroissance » supportable : remplacer les voitures particulières par des transports en commun, c’est évidemment une excellente idée, mais elle ne serait « décroissante » qu’à long terme, puisqu’il faudrait construire des trains, de nouvelles lignes, de nouvelles gares, puisque déjà aujourd’hui le réseau est largement saturé. On pourrait modifier les politiques d’aménagement du territoire, revitaliser les campagnes et les petites villes, restaurer l’habitat ancien, etc.. Mais tout cela demande encore des investissements et des projets à long terme contradictoire avec un mode de production fondé sur le montant du ROI (retour sur investissement). Les idées pour faire mieux, moins polluant, moins usant pour les habitants, ne manquent pas, mais elles se heurtent à cette petite chose qui s’appelle rapports de propriété et de pouvoir politique.

La « transition écologique » n’est qu’un slogan publicitaire permettant de promouvoir un capitalisme qui lave plus vert. Le parangon de cette transition est la voiture électrique, une catastrophe totale en prévision qui aboutira, soit à la débandade complète (2035, c’est encore loin), mais plus sûrement à la surexploitation des minerais nécessaires aux moteurs et aux batteries, à une production électrique énorme avec ses coûts environnementaux et à des concentrations massives dans l’automobile mondiale. Ne parlons pas de la somme phénoménale d’âneries proférées sur viande, les rots des vaches, la consommation d’eau du cheptel bovin.

Quant au sauvetage néokeynésien du capitalisme, voilà un bon moment que j’ai dit ce que j’en pense (voir « Néolibéralisme ou keynésianisme rénové : la fausse alternative », revue L’homme et la société, 135, 2000, disponible sur internet sur le site du Cairn). Un mixte, en proportions variables de ces trois solutions ne vaudra évidemment pas mieux que chacune des composantes. Il s’agit toujours des experts, des sachants, des « think tansks » qui proposent des programmes clés en main. Le contraire, donc, de ce qu’il faudrait faire.

Hic Rhodis, hic salta ! C’est là qu’il faut sauter en effet. Soit on peut s’y engager à froid, en prenant le temps nécessaire à l’expérimentation. Soit on y sera contraint, par la force des choses, soit que, d’ici là, le capitalisme aurait réglé le problème par ses moyens habituels, une nouvelle guerre mondiale qui fera paraître les précédentes comme un aimable divertissement, ou d’autres choses encore que nous pouvons simplement deviner en réfléchissant sur l’expérimentation Covid 19…

Le 17 juin 2023





novembre 27, 2022

Revue n°3: le sommaire


 

ÉDITORIAL :  GLISSEMENTS DE TERRAIN

WOKISME, LGBT+++, PSEUDO-FÉMINISME ET AUTRES BALIVERNES    par Jacque Cotta

LA PLANIFICATION ÉCOLOGIQUE FAUSSE ALTERNATIVE À LA NÉCESSAIRE TRANSFORMATION DE LA SOCIÉTÉ par Jean-François Collin

ESQUISSE POUR UNE ANALYSE DES RELATIONS INTERNATIONALES   2E PARTIE : LES VARIANTES DE « L’ÉCONOMIE POLITIQUE INTERNATIONALE » (ÉPI), MICHEL BEAUD ET LE SNMH par Gabriel Galice

LE RÉPUBLICANISME À L’ÉDUCATION NATIONALE. GUIDE DE SURVIE par Maxime Léothaud

LA DIMENSION MORALE DU COMMUNISME par Yvon Quiniou

QU’EST-CE QUE L’ÉPISTÉMOLOGIE MARXISTE ? Entretien de Fabien Schang avec Loïc Chaigneau

LE FUTUR ÉTAIT DÉJÀ FINI par Jérôme Maucourant

À PROPOS DU RETOUR DE L’ÉTAT RÉPUBLICAIN ET DE « L’INTÉRÊT GÉNÉRAL »   par Danielle Riva

 

Pour recevoir cette revue :

+ La commander en écrivant à redaction@socialisme.online – En envoyant un chèque, ou en payant par Paypal à redaction@socialisme.online

+ La commander directement ici : Amazon.fr - Socialisme pour les temps nouveaux 2022-2: 2e semestre 2022 - numéro 3 - Collin Dir., Denis - Livres

novembre 23, 2022

La dimension morale du communisme

 par Yvon QUINIOU

Je présente ici un extrait du livre La possibilité du communisme, écrit avec le jeune philosophe grec Nikos Foufas et paru chez L’Harmattan en juillet 2022. Pour des raisons de commodité de lecture pour le lecteur, et bien que l’ouvrage constitue un dialogue largement nourri par Foufas, je me contente de reprendre ce que j’ai dit dans le chapitre consacré au rapport de la morale et du communisme en le modifiant à peine. Et je remercie Denis Collin, qui n’est pas indifférent à la question morale en politique, de m’avoir proposé cette intervention.

La question morale dans le marxisme, surtout dans le marxisme officiel qui n’est peut-être pas le meilleur marxisme, est une question délicate et même controversée. Nous allons tâcher de la clarifier, voire de la résoudre définitivement, car recourir à ses valeurs n’est en rien faire obstaLa dimensioncle à sa possibilité concrète en fuyant le réel.

Entretien avec LoÏc CHAIGNEAU sur l'épistomologie marxiste

 Entretient réalisé par  Fabien SCHANG

Présentation par Fabien SCHANG

Le propre des œillères, c’est de ne pas être visibles de celui qui les porte. Est-il encore possible de parler de nos jours du socialisme, voire du communisme, sans être condamné à une sorte de reductio ad goulagum (tu es socialiste, donc tu es pour les goulags et la servitude de l’homme par l’homme) ? De l’aliénation, on connaît la chanson. Mais qui ne l’est pas, et comment ne pas l’être ?

Loin des sophismes macabres auxquels le concept de communisme a été systématiquement associé depuis la chute du Mur de Berlin (comme si la théorie communiste se réduisait à sa seule concrétisation dans le contexte soviétique de la Russie du xxe siècle), il existe une théorie de la connaissance propre à la philosophie de Marx : l’épistémologie marxiste, dont l’objectif était de proposer une grille d’explication objective et scientifique des événements historiques. Si le socialisme du xxie siècle veut renaître de ses cendres encore fumantes, c’est bien par la connaissance de son socle théorique qu’il s’agit de régénérer à la fois le discours et la méthode d’explication marxistes. Que vaut cette théorie, et en quoi se distingue-t-elle notamment de la théorie de la connaissance héritée de la philosophie de Platon ?

Pour mieux comprendre les mécanismes de cette grille de compréhension du monde qui nous entoure, nous avons posé dix questions à Loïc Chaigneau. Président de l’Institut Humanisme Total (IHT), Loïc est un jeune philosophe à la bibliographie déjà fournie : Le nouveau fascisme (2013), Faucons rouges (2016), L’imposture présidentielle (2017), Pourquoi je suis communiste (2019), Penser la transformation du moment présent. Le rapport Hegel-Marx (2021), Marxisme et intersectionnalité (2022). 


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Ce qui est devant nous

 Si on veut comprendre l’évolution de nos sociétés et tirer quelques perspectives pour un avenir probable, il est utile de revenir à l’analy...