Si on veut comprendre l’évolution de nos sociétés et tirer quelques perspectives pour un avenir probable, il est utile de revenir à l’analyse que Marx fait du mode de production capitaliste. On sait que, pour Marx, le capital n’est pas une chose, de l’argent, des machines, des marchandises, mais un rapport social. Ce rapport social a cette particularité de se présenter sous une forme totalement obscure : le rapport entre les hommes apparaît comme un rapport entre les choses. Le capital est le grand automate dit encore Marx. Autrement dit les acteurs apparaissent comme les exécutants d’un gigantesque processus anonyme qui les dépasse. A- M-A », c’est la formule magique. Le capital ne peut vivre qu’en s’accroissant. Il ne lui suffit pas de se reproduire, il doit se reproduire sur une échelle élargie. Une fraction du capital qui ne pourrait s’accroitre serait condamnée à disparaitre. Il y a bien entendu de nombreux régimes d’accumulation différents, mais la loi fondamentale est invariable. Que nous soyons en régime « keynésien fordiste » ou dans la phase dite (à tort) « néolibérale », les mêmes lois s’appliquent. Capitaux, croissez et multipliez, c’est la loi et les prophètes !
Contradictions du mode de production capitaliste
Mais le capital est une contradiction en acte. D’un côté, il
doit toujours plus mettre en œuvre du travail vivant qui seul est producteur de
survaleur (les machines ne font que transmettre leur valeur au produit), mais
d’un autre côté, il doit augmenter la productivité du travail et donc utiliser
toujours plus les machines. Donc l’augmentation du capital constant,
relativement à l’ensemble du capital investi tend à faire baisser le taux de
profit. L’accumulation du capital produit donc, tendanciellement, une baisse du
taux moyen de profit, même si dans tel ou tel secteur le taux de profit croit,
et parfois de manière très rapide.
Globalement, l’analyse de Marx, notamment dans le livre III
du Capital reste tout à fait pertinente, y compris l’examen que fait
Marx des différentes méthodes employées par le capital pour enrayer cette
baisse tendancielle du taux de profit. Schématiquement, la dernière période
(disons depuis la crise des années 1973 et suivantes) a vu la mise en
œuvre de plusieurs méthodes.
1)
Baisse des salaires (de la valeur de la force de
travail) obtenue grâce aux délocalisations massives — sur ce point, la France
bat les records — et enrôlement dans le procès de production capitaliste de
centaines de millions de travailleurs à bas coût (Chine, évidemment, mais aussi
Inde, Vietnam, Indonésie, Philippines et Afrique). La concurrence « libre et non faussée » à l’échelle mondiale a
permis de faire pression sur les salaires dans les pays avancés. L’inclusion
dans la valeur de la force de travail de marchandises dont la valeur baisse (alimentation,
biens d’équipement domestiques) a permis de lisser cette baisse des salaires
réels.
2)
Le développement des nouvelles techniques de
l’information et de la communication d’un côté, de la robotique de l’autre, a permis
une augmentation de la productivité du travail et, par-là, une augmentation de
la survaleur relative, tout en ouvrant de nouveaux champs d’accumulation du
capital — par exemple, dans la production de matériel informatique.
3)
Accélération de la vitesse de rotation du
capital, ce que permet le développement prodigieux du commerce mondial, la
mondialisation de la finance, une planète sur laquelle le soleil ne se couche
jamais, les systèmes interbancaires comme le système SWIFT, basés sur des
réseaux informatiques de plus en plus puissants et de plus en plus gourmands en
ressources.
4)
Développement sans précédent du « capital fictif », que soit par le moyen
classique du crédit ou des sociétés par actions, que ce soit par toutes trouvailles
plus ingénieuses les unes que les autres de la spéculation financière, laquelle
peut se résumer en un mot : encaisser la survaleur future dès maintenant.
Les grandes « bulles », bulle des valeurs de la
« nouvelle économie » en 2002, bulle des fonds
d’investissement avec la chute de Lemon Brother, en 2007, etc., sont simplement
des rappels au réel : les valeurs virtuelles ne valent qui ont a des
chances raisonnables qu’il y aura, au bout du compte, des valeurs réelles, de « vraies » marchandises, produites
par un « vrai » travail.
Détruire, disent-ils
Dans son livre sur L’accumulation du capital, Rosa
Luxemburg avait proposé une théorie de la crise finale du mode de production
capitaliste. Ayant conquis le monde entier, l’accumulation du capital devenait
impossible, puisqu’il n’existait plus de secteurs non capitalistes capables de
réaliser la valeur des marchandises produites en surplus (le delta A’-A). Mais
contrairement à ce que pense Kant, il arrive que quelque chose soit faux en
théorie, mais parfaitement vérifié en pratique (en fait, selon Kant, il est
impossible qu’une thèse soit théoriquement juste, mais pratiquement fausse).
Rosa Luxemburg critiquait les développements (inachevés) du livre II du Capital,
consacré à la reproduction. Les marxistes ont dépensé des tonnes de papier et
de ressources intellectuelles pour démontrer que Rosa s’est lourdement trompée.
Mais son erreur pointait quelque chose de vrai : l’accumulation illimitée
du capital est impossible parce que le monde est fini. Seul un fou ou un
économiste peut croire le contraire.
Quoi que pensent les ingénieux escrocs de la « nouvelle production de
valeur », si je prête
un euro à mon voisin et qu’il me les rend tout de suite, on n’a aura créé
aucune valeur additionnelle. Il y a toujours un moment où il faudra passer à la
caisse ! Le secteur
des services ne produit rien : il concourt seulement la réalisation de la
valeur des marchandises produites dans le secteur productif et permet aux
capitaux investis dans ces secteurs d’accaparer une part croissante de la
survaleur. La plateformisation du commerce (voir les articles que j’ai consacrés
à ce sujet) est la fois un puissant moyen d’accélérer la rotation du capital et
le carte magique qui permet aux businessmen de ce secteur d’empocher une part
considérable de la survaleur produite ailleurs — la capitalisation des GAFAM en
est un bon exemple.
Donc, en dernier recours, il faut produire et pour produire,
il faut des ressources naturelles, des moyens de travail et des travailleurs.
Mais si le ressources naturelles menacent de manquer, si les moyens de travail
sont de plus en plus gourmands et si on ne peut plus envisager sérieusement une
multiplication de la population telle qu’elle s’est faite au cours des trois
derniers siècles, alors on doit arriver à un moment où le « saut périlleux » de la marchandise (Marx)
devient un saut mortel. Il semble bien que nous soyons arrivés à ce moment.
Pour sortir de cette impasse, à deux reprises au cours du
siècle dernier, le capital a laissé tomber Mercure ou Hermès pour Arès ou Mars.
La guerre a permis de rebattre les cartes et de reconstruire un nouveau
capitalisme sur les décombres de l’ancien. La « troisième
guerre mondiale », la
guerre froide, s’est conclue par la défaite du « capitalisme » bureaucratique et la
pleine conversion de la Chine au capitalisme sous surveillance étatique, et le
capital, à l’échelle mondiale, a bénéficié d’un répit. Mais le « nouvel ordre mondial » pacifique, prédit par les
commentateurs et futurologues ne s’est pas réalisé. Comme le disait Lénine,
contre Kautsky, le « super-impérialisme » est impossible et les
tensions entre les puissances capitalistes ne peuvent que s’aiguiser chaque
jour un peu plus. La guerre OTAN-Russie, qui se déroule sur le territoire
ukrainien, a pour enjeu le contrôle du gaz, du pétrole et des céréales.
Derrière ce conflit se profile le conflit entre les États-Unis et la Chine,
peut-être, demain l’Inde. La vieille Europe est laminée et en voie d’annexion
de fait par les États-Unis qui ont en feront une monnaie d’échange. D’autres
lignes de fractures apparaissent avec des nations qui veulent leur part de
gâteau. La Turquie, alliée au Qatar, et appuyée sur les réseaux « fréristes » s’oppose à l’axe Arabie
Saoudite, Émirats et Égypte, des pays qui ont décidé, pour l’instant de se
débarrasser des « Frères » et veulent jouer leur
propre partition, indépendamment des États-Unis. Israël est partiellement un
membre de cette alliance implicite. Le Maroc s’est fortement rapproché d’Israël
et bien éloigné de la France. Ceux qui lisent la situation internationale avec
les lunettes d’hier sont évidemment à côté de la plaque ! Des nouvelles guerres potentiellement très
destructrices sont maintenant à l’ordre du jour qui ne se limiteront peut-être
pas à quelques champs de bataille très délimités comme ce fut le cas à partir
de la première guerre du Golfe (1991).
Capital et technologie
Dans le même temps, le capital est lancé dans une course
technologique folle qui induit des modifications profondes de la condition
humaine. Les manipulations du vivant avec les techniques de « ciseaux » à ADN permettent
d’envisager les possibilités les plus folles et les plus terrifiantes. Le
posthumanisme n’est pas une invention issue de l’imagination d’un auteur de
science-fiction, mais une orientation possible de développement du mode de
production capitaliste. De ce point de vue, ce qui se joue autour du « transgenre » n’est nullement une
simple question « sociétale ». Il nous faut apprendre à
être amicaux avec les transgenres parce que nous devons apprendre à accepter
les nouveaux humains qui pourront être fabriqués demain pour les besoins du
mode de production capitaliste. On travaille également d’arrache-pied pour
faire sortir la procréation du hasard de la méiose et des servitudes de la
maternité. La fécondation in vitro, débarrassée de ses limites
thérapeutiques et complétée par l’ectogenèse ouvre les portes du « meilleur des mondes ». Il faut bien comprendre
qu’il s’agit là de développements complètement conformes à la logique du
capital. Plus un seul compartiment de la vie humaine ne doit échapper à la
marchandise et sa transformation en capital. Plus rien ne doit échapper à la
planification stratégique de la « croissance » qui n’est que la
croissance du capital. « L’eugénisme
libéral » dont parlait
Habermas dans l’ouvrage L’avenir de la nature humaine (2000) est entré
en résonance avec les revendications de groupes dits de « minorités sexuelles », c’est-à-dire des divers
« syndicats » de perversions sexuelles
(j’emploie ici le terme perversion dans son sens freudien). Ces groupes
eux-mêmes, en essentialisant les individus au nom du « libre choix »
apportent leur contribution à la dislocation de toutes les communautés humaines
et à la formation de la « société
liquide » (Zygmunt
Bauman). Il s’agit bien de changer la nature humaine et de produire des humains
conformes à des visées technoscientifiques. À terme, c’est l’idée même de la
liberté qui disparaîtrait.
D’autres aspects des évolutions contemporaines pourraient
être analysés et notamment ce qui se trame autour des neurosciences et leur
utilisation dans une perspective de réification complète des individus,
conforme à la logique du capital. On pourrait également enquêter sur le
business médical : le rôle des laboratoires (Pfizer, Sanofi, etc.) et la
transformation des hôpitaux en éléments de trusts de la santé (par exemple le
groupe Ramsay), et la complicité nécessaire et bien rémunérée d’une partie
particulièrement corrompue du corps médical. Mais tous vont dans le même
sens : une prise de contrôle complète de l’individu par le « système ». J’insiste : par le
système et non par quelques individus particulièrement pervers. Mettre de
l’argent dans un groupe qui travaille sur l’ectogenèse, ce n’est rien d’autre
que vouloir gagner de l’argent, c’est-à-dire se conduire en bon fonctionnaire
du capital. Les conséquences à moyen et long terme ne concernent jamais
l’investisseur qui cherche à maximiser on placement et ceci est vrai quel que
soit l’investisseur — les fonds de pension ou les mutuelle qui gèrent l’argent
des salariés se comportent ou finiront par se comporter comme des capitalistes
rapaces ordinaires. Le système impose sa loi et il apparaît comme indépendant
des agents. Ce qui n’empêche pas certains de ces agents de jouir de leur
soumission au système et d’autres (la majorité) d’en souffrir).
L’informatique et les communications constituent (parfois en
lien avec le précédent) un autre secteur de développement du capital. Les « big data » sont le produit de
l’informatique de gestion la plus traditionnelle, mais elles permettent
maintenant l’essor fulgurant de la soi-disant « intelligence
artificielle » (IA)
qui n’est qu’un ensemble de techniques de traitement massif des données. Il
s’agit à la fois de produire des nouveaux moyens de surveillance individus et
même de prévoir, autant que possible, leur comportement, un peu comme dans la
nouvelle de Philip K. Dick, Le rapport minoritaire, dont la police
prédictive qui se développe aujourd’hui est une version encore très imparfaite.
Le vieux fantasme de la planification totale, défendu jais par le système
stalinien, fait un retour en force avec des moyens autrement puissants que ceux
de la bureaucratie soviétique, mais qui conduiront presque aussi certainement
au chaos. Ce système d’information mondialisé coûte une fortune en câbles,
satellites, data centers… et défaillances techniques. Mais qu’importe !
J’ai abordé ailleurs la question de
l’écologie et de la crise climatique. On peut ici voir comment elle s’insère
dans la crise globale du mode de production capitaliste. Dans la bonne vieille
stratégie du chaos, cette crise prend toute sa place : elle donne
l’occasion d’une restructuration, d’un global reset du mode de
production capitaliste. La restructuration de l’automobile en donne un bon
exemple. Sous l’injonction du « tout
électrique en 2035 »,
l’industrie automobile draine des sommes considérables d’aides publiques — par
exemple les aides publiques aux véhicules électriques sont massivement tombées
dans les poches d’Elon Musk, producteur des Tesla. La fusion PSA-FCA qui a
donné naissance au groupe néerlandais (!) Stellantis. Celui est engagé dans une
opération de « dégraissage » qui va particulièrement
toucher l’industrie automobile française vouée à une existence résiduelle, avec
des transferts de production vers l’Espagne, l’Italie, la Pologne, la Chine ou
l’Inde ! Un tiers des
concessions du groupe PSA en France vont disparaître. On parle de vendre les
autos en ligne. La réindustrialisation de la France n’est qu’un mot creux pour
meubler les discours des politiciens. Il reste moins de 10 % de la
population active française dans
l’industrie et les quelques industries qui sont annoncées sont souvent
chinoises…
Mais, à la différence des grandes restructurations
précédentes qui ont surtout touché la classe ouvrière, cette fois sont menacées
aussi toutes les professions intellectuelles intermédiaires qu’on se prépare à
remplacer par des dispositifs du genre « chatGPT ». Même des professions
aussi qualifiées que les radiologues pourraient être remplacées par des IA,
sans oublier les développeurs informatiques ou une partie de professeurs. Cette
transformation en cours va produire une paupérisation massive et une
stratification nouvelle de la société, dont une partie ne survivra plus que par
la forme moderne de l’antique anone des Romains.
Nouvelle configuration des classes sociales
Se dessine une nouvelle configuration des classes. La
bourgeoisie, en tant que classe des propriétaires du capital est ravagée. Elle
a été très largement épurée par les restructurations successives du capitalisme
(pensons par exemple au textile du Nord). Survivent quelques grandes familles
comme les Peugeot ou les Agnelli mais qui doivent déléguer leur pouvoir à des « managers » (en l’occurrence Carlos
Tavares). La mangerial revolution de Burnham est passée par là. Le
pouvoir suprême est détenu non plus par les vieilles bourgeoisies française,
italienne, allemande, britannique, mais par la TCC, la « transnational capitalist class » décrite par Leslie Sklair
voilà une vingtaine d’années. Cette TCC n’a plus grand-chose à voir la vieille
bourgeoisie patrimoniale qui ne survivre précisément qu’en s’intégrant à la TCC,
par exemple les Mulliez, champions de la reconversion après l’effondrement du
textile du Nord qui ont réussi à constituer un trust familial multinational, ou
encore les Agnelli qui contrôlent une société financière qui contrôle FCA qui
contrôle Stellantis. Les managers, issus des écoles prestigieuses ou de la
haute fonction publique s’échangent sur le marché du capital comme les joueurs
de foot vedettes sur le « mercato ». Des alliances plus ou
moins informelles de nouent comme celle qui a permis l’élection de
Macron : milliardiaires des médias et de l’internet, hauts fonctionnaires
(Bercy), magistrats (le parquet financier), conseillers du prince (Attali) ont
conjugué leurs efforts pour faire élire un président à leur goût, une opération
qui n’est pas rappeler celle qui a mis Berlusconi au pouvoir dans les années 1990
à la suite de l’opération « manipulite », une opération où les
mains n’étaient pas aussi propres qu’on bien voulu le dire.
À l’autre extrémité, la classe ouvrière, disloquée comme
classe par les restructurations industrielles, est noyée dans le « précariat » moderne, livreurs de
pizzas, chauffeur « uber », autoentrepreneurs, titulaires
du RSA, adultes handicapés, retraités aux retraites amaigries, petits artisans
qui tiennent à peine la tête hors de l’eau. Toute cette nouvelle classe dont
une partie s’était mobilisée avec les « Gilets
jaunes ». On pourrait
comparer cette couche sociale d’en bas à la plèbe romaine. Entre les deux la
classe dite moyenne est laminée. Elle qui devait être le noyau central dans la
vision giscardienne se voit menacée d’être précipitée dans la plèbe. Il suffit
dire qu’un professeur commence avec 1,2 SMIC pour voir combien le Capitole
est proche de la Roche tarpéienne !
La France semble en pointe dans cette « tiers-mondisation » des pays capitalistes
avancés. Avec un salaire médian à 1850 € et un taux de pauvreté de 20 %,
en France, de nombreux ménages sautent régulièrement un repas parce qu’ils ne
peuvent plus joindre les deux bouts. L’inflation consécutive au déclenchement
de la guerre en Ukraine est ravageuse. Qu’est-ce qui unit cette « classe d’en bas » ? La précarité des conditions de vie et la
nécessité de travailler. Même les mieux installés risquent un licenciement, une
restructuration, un accident de la vie familiale et peuvent à tout
redégringoler. La condition juridique salariale n’est pas ici le facteur
déterminant : après tout, Carlos Tavarès avec ses 60 millions l’année
est aussi un salarié, pendant que celui qui vit en « autoentrepreneur »
de petits boulots ou l’infirmière libérale sont des « travailleurs indépendants ». Le point commun
finalement, c’est le travail, le travail fatigant, le travail qui demande de la
sueur et qui permet tout juste de vivre. Mais aussi le travail sans lequel tout
le monde s’effondre. On peut se passer des trois quarts des managers, DR de quelque
chose, auditeurs, bavards prétendument experts, journalistes préposés à
l’intoxication des cerveaux disponibles. Mais ni les éboueurs, ni les
infirmières, ni les aides à domicile, ni les plombiers ou les électriciens, ni
les paysans ou les manutentionnaires ne disparaitraient sans des dommages
considérables pour toute la société. Les « premiers
de corvée » comme on
les a appelés pendant l’épisode Covid.
Il faut dire un mot de la population dite des « cités » qu’on amalgame à tort
sous l’étiquette « immigrés », alors qu’une partie, née
en France, n’est pas immigrée du tout !
Une partie de cette population est rigoureusement semblable aux populations « de souche » et d’ailleurs ils se
retrouvent soit dans les Gilets Jaunes, soit dans d’autres mouvements sociaux
comme les grèves des femmes de ménage des grands hôtels. La division entre le
peuple de la « France
périphérique »
(Guilluy) et le peuple des « cités » est donc largement
arbitraire, mais soigneusement entretenue au nom de la bonne vieille maxime « diviser pour régner », la classe dominante
recevant dans cette entreprise l’appui constant et fidèle d’une partie de la
gauche, comme LFI. La spécificité de ces cités tient à qu’elles ont clairement
un caractère néocolonial. La classe dominante délègue aux « indigènes » le soin d’administrer les
indigènes, comme c’était souvent le cas dans les colonies jadis. Ici les caïds
de la drogue et de l’islamisme jouent ce rôle. Moyennant la mansuétude
judiciaire et policière, ils restent les maîtres de ces territoires perdus de
la république, qui leur rapporte des sommes coquettes. L’organisation interne
des cités ressemble beaucoup au système féodal et à sa version plus moderne
qu’est la mafia.
Perspectives probables et improbables
Le plus probable, compte tenu des rapports de forces entre
les différentes classes sociales, est une aggravation de la crise sociale et
une offensive de grande ampleur des classes dominantes pour réduire la plèbe
aux conditions de la survie. La réforme des retraites pilotées par Macron
n’était qu’une « mise
en bouche », préparant
des offensives contre la sécurité sociale, les conditions de travail et les
salaires… et une nouvelle réforme des retraites !
Tout est annoncé. Des discours répétés préviennent que la sécurité sociale,
même avec les mutuelles, ne suffira pas et que chacun devra prévoir un budget « santé » dans ses dépenses du
mois. Le modèle est connu : c’est le modèle américain. Dans tous les
secteurs, des licenciements massifs sont à prévoir et cela entraînera une
précarisation accélérée des rapports salariaux. Comme il faut faire face à la
baisse naturelle de la population dans les pays industriels, l’immigration
massive est à l’ordre du jour. Bien qu’on attribue à « l’extrême droite »
la thèse du « grand
remplacement », on
doit reconnaître que les instances suprêmes de l’Union européenne lui sont
entièrement acquises et que seules les nations résistent encore un peu, mais
peut-être pour peu de temps encore. Une population immigrée dépourvue de
traditions de lutte, soumise à un contrôle administratif et policier rigoureux
pourrait agréablement remplacer les travailleurs « blancs »,
dont les plus anciens ont encore en tête l’idée de syndicat, de droits sociaux,
etc. Pour éviter d’avoir à former des travailleurs qualifiés ou hautement
qualifiés, on prévoit un recrutement de médecins et d’ingénieurs formés dans
les pays plus pauvres. Dans ces conditions, la résistance sociale sera bien
plus difficile.
L’évolution la plus improbable est celle sur laquelle mise
ou feint de mise une partie de la gauche, celle d’un retour à une forme ou une
autre de keynésianisme social, un retour au mode de régulation qui a connu ses
jours de gloire dans les années 1945-1970. Les conditions qui ont présidé
à cette phase exceptionnelle ont disparu. L’effondrement de l’URSS et de ce que
les élites prenaient pour une « menace
communiste » libère
les classes de dominantes de devoir amadouer les puissantes classes ouvrières
des pays riches. Il n’y a plus aucune menace communiste ou socialiste qui pèse sur
plus riches : pourquoi devraient-ils céder une partie de leurs surprofits
aux travailleurs. L’explosion des inégalités et l’accumulation de fortunes
gigantesques suffisent pour comprendre qu’on ne reviendra pas en arrière vers
les années 1950 et 1960. L’énergie bon marché, essentiellement le pétrole,
ne sera plus qu’un souvenir. La concurrence internationale d’un tiers-monde qui
n’était rien et voudrait bien maintenant être tout, comme on doit naturellement
s’y attendre, bloque les possibilités de renouveler le contrat des « trente glorieuses ».
Qu’un renouveau du keynésianisme social à l’ancienne soit à
peu près improbable n’empêche une forte intervention de l’État dans l’économie.
La « néolibéralisme » est une fable :
nulle part on n’est revenu au « régime
manchestérien », tant
est-il qu’il ait jamais existé. Le modèle chinois représente une variété du
capitalisme d’aujourd’hui et on le retrouve à des degrés divers un peu partout.
La Russie, la Turquie, les pays arabes sont des pays où l’État est directement
lié au capital. Les « fonds
souverains » sont une
autre forme d’implication de l’État. Et partout les systèmes d’incitation, les
marchés publiques ou l’économie d’armement constituent autant d’interventions
indirectes de l’État. Mais ces interventions étatiques ne sont pas motivées par
quelque souci que soit du « social » ou de la concurrence avec
le « communisme ». Le temps où Pompidou se
disait partisan d’un « socialisme
à la suédoise » et où
Chirac se présentait comme « travailliste » est vraiment très loin !
Demain sera, quoi que l’on fasse, plus difficile
qu’aujourd’hui. Aujourd’hui est déjà bien plus difficile qu’hier pour une large
partie de la population qui n’a pas la chance de se faire entendre, qui est
absente des médias, du cinéma, des séries… et des préoccupations des
politiciens, même de gauche. La seule chose qui se discute est de savoir
comment les difficultés vont être réparties et qui décidera des restrictions et
pour qui.
Pour continuer…
Il est nécessaire de sortir de la logique du capital, si on
veut éviter un effondrement de la civilisation ou une transformation de la vie
humaine telle qu’elle sera privée de toute valeur. Cette issue possible du
développement du mode de production capitaliste n’est pas certaine. Il peut y
avoir une série de destructions qui pourraient donner un nouveau souffle au
capital, comme l’ont été les deux grandes guerres mondiales du xxe siècle. Mais quoi
qu’il en soit, aucune de ces perspectives n’est moralement envisageable et
chacun, pourvu qu’il fasse usage de sa raison pratique sait que notre devoir
est de tracer une autre direction et d’agir pour que, collectivement, nous
puissions commencer à marcher dans cette direction. La difficulté est que nous
devons tout repenser et que la tradition « révolutionnaire », principalement celle du
marxisme, ne nous est d’aucun secours, bien au contraire. Pouvons-nous
effectivement déterminer cette voie nouvelle et nous y engager ? Voilà la question la plus
urgente.
Le 4 août 2023
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire