octobre 21, 2021

Réalité sociale de la crise actuelle

 Jacques Cotta

Durant la première vague du Covid, alors que les mesures de restrictions étaient annoncées, que le couvre-feu était imposé, que les chiffres d’hospitalisation et de décès étaient assénés en continu sur les médias, que la peur et la psychose étaient installées, les ignorés, les méprisés, les invisibles — soignants, caissières, balayeurs, agents de métro ou autres — ont assuré le nécessaire et minimum vital dans le pays paralysé. De leur balcon des grandes villes, des milliers se sont précipités chaque soir à 20 heures pour faire partir des salves d’applaudissements en signe de remerciement et de solidarité avec les professionnels qui sans rechigner bravaient le virus. Les commentateurs qu’on avait connus plus saignants lorsqu’il s’agissait de fustiger ces « nantis de fonctionnaires » ou « ces grévistes du public ou du privé qui prennent la population en otage » se perdaient soudain en louanges et remerciements. Les hommes politiques de tout bord n’étaient pas en reste, le chef de l’État en tête, pour saluer la bravoure des salariés qui affrontaient le danger et pour promettre qu’à l’avenir ils n’oublieraient pas et sauraient prendre les décisions conformes à la reconnaissance méritée. De Londres à Paris, Budapest ou Moscou, comme le dit la chanson, sans oublier New York où dans le respect de la tradition, début juillet 2021, des centaines de « travailleurs essentiels » ont défilé sur Broadway, à la pointe sud de Manhattan, sur cette portion d’avenue rebaptisée « The Canyon of Heroes », où les ont précédés depuis le XIXe siècle soldats revenus du front, astronautes de retour d’une mission historique, chefs d’État ou champions sportifs, les mêmes catégories sociales se sont retrouvées en première ligne durant la pandémie. Sous une pluie de confettis — répliques des « ticket tapes » que jetaient les opérateurs boursiers quand la parade passait par Wall Street — entre les traditionnelles fanfares et les vivats, les héros qui ont permis à cette ville de huit millions et demi d’habitants de tenir durant des mois n’étaient curieusement pas tous présents. Certains avaient décidé de boycotter l’évènement, une célébration toute symbolique pourtant organisée en leur honneur. Au risque de paraitre mesquins et terre à terre en cette période de soulagement et de relâchement, les ambulanciers new-yorkais par exemple avaient conditionné leur présence à la prise en compte de revendications anciennes, remises au goût du jour par le Covid, concernant leurs salaires notamment. Parmi les participants, les mêmes sujets, les mêmes préoccupations. « Primes de risque », « promesses non tenues », « recrutement », « renforcement des personnels soignants », les pancartes donnaient une autre couleur que celle désirée par les autorités à une célébration qui devait demeurer bon enfant.

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